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Déjà 8 ans qu’ils étaient ensemble.

Arrivée de son Canada, elle avait migré en France pour découvrir toutes les promesses de la Gastronomie auxquelles elle avait été sensibilisée jeune par un père gourmet. Elle avait hérité de lui ses formes et un palais raffiné. C’est le fromage qui devint sa prédilection, et de caves en affinage, elle en devint une éminente spécialiste, jusqu’à intervenir dans des émissions nationales. Elle parcourait la France des maîtres fromagers et des meilleures tables.

C’est dans un restaurant Alsacien qu’elle rencontra celui qui allait devenir son amant. Il était un cuisinier atypique. C’était un artiste. Un véritable autodidacte. Ils sont rarement appréciés dans ce domaine mais son talent était tel que personne n’osait le contester. Il avait une sensibilité innée pour mêler des saveurs qu’aucun avant lui n’avait tenté et qui semblaient pourtant des évidences. Ses nombreux voyages l’avait ouvert à des produits inconnus sur son territoire. La connaissance qu’il avait des aliments en tout genre était encyclopédique. Il lui parla de fromage, dont elle pensait ne plus rien ignorer, comme jamais personne ne lui en avait parlé. Ce fut un coup de foudre fromager.

Ils comprirent que leur alliance était inévitable. Un enfant naquit rapidement.

Le culinaire devait devenir également une ambition commune, elle, repérant des petits producteurs exceptionnels, lui, mettant en harmonie les produits. Au cours des nombreux déplacements qu’elle faisait, elle tomba en amour d’une destination. C’est près de Chamonix qu’ils s’installèrent après qu’elle ait vu virer la couleur des mélèzes à l’automne qui lui apportait quelques réminiscences de son pays d’origine. Ils parvinrent non sans difficulté à ouvrir leur propre établissement. Le succès fut rapidement au rendez-vous. Les restaurants concurrents ne savaient servir que des fondues et raclettes, un brin de gastronomie ne pouvait qu’attirer une nouvelle clientèle. Les étrangers étaient nombreux à dîner chez eux. Malgré ce succès, c’était un métier difficile, prenant. L’administration à la française ne faisait que leur rappeler que rien ne devait être simple. Ils ne désemplissaient pas et le dicton Sarkozyste ne fonctionnait décidément pas. Ils travaillaient tellement qu’ils ne se croisaient plus que rarement. L’idylle se transformait doucement en cauchemar. C’est un contrôle des affaires sanitaires qui acheva de les dégouter. Bien qu’aux normes, ils héritèrent d’une amende salée qui vint grignoter le faible bénéfice qu’ils étaient parvenu à accumuler. Ils avaient la sensation de se tuer à la tâche.

Dès lors, le retour au pays d’origine devint une litanie incessante, là où tout est possible, là où l’on ne vous mets pas des batons dans les roues à chaque occasion, ces maudits français !

Bien que ce ne fut pas quelque chose qu’il avait imaginé, il était d’un côté séduit et de l’autre désabusé de devoir abandonner ce qu’ils avaient construit laborieusement, notamment cet établissement dont la réputation était de plus en plus florissante.

Quelques mois passèrent et il comprit qu’il ne déciderait pas, que son intention à elle était ferme et définitive, et qu’au delà de la perdre, c’est la vie avec son enfant qui en était l’enjeu réel. Il n’y avait pas d’hésitation possible, il était contraint, il migrerait.

La vente de l’établissement pris beaucoup de temps. Presque deux années. Les années Covid étaient passées par là, et nombre de restaurants avaient mis la clé sous la porte. Les bonnes affaires n’étaient pas rare et ils ne souhaitaient pas brader leur affaire. Ce temps envenima davantage leur couple encore. Elle se sentait prise en otage. Impossible de rentrer au pays sans que la vente n’ait été faite.

Les mois passèrent et le retour s’annonça enfin. Ils se séparèrent de tout ce qu’ils possédaient et embarquèrent avec deux valises et un enfant.

Il avait vaguement réfléchis à la suite. L’intense activité qu’il menait depuis 6 ans s’arrêtait enfin et il se sentait lessivé. Mais il se sentait libre. Plus de travail, un nouvel environnement à découvrir, quelques sous mis de côté, la pression ne pesait plus sur ses épaules. Il s’était dit que l’autre continent et l’absence d’activité permettraient sans doute qu’ils puissent enfin renouer.

N’ayant rien anticipé de ce voyage et de leur nouvelle vie, c’est dans la belle famille locale qu’ils s’installèrent. Le temps que. Evidemment, cela ne permit absolument pas le rapprochement qu’il avait nourri. La seule vertu de cette configuration avait été de faire cesser ces hurlements de colère qui lui venait souvent, sur lui, sur leur enfant.

Dix jours après leur arrivée, ce qu’il sentait poindre depuis des mois arriva. Net. Tranchant. Lourd. Elle lui demandait de trouver un logement. Mais un logement pour lui. Pour lui. Seul.