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L’année passée, lorsque j’ai pu faire cette pause de 6 mois, j’ai essayé de penser à la tranche de vie suivante qui m’attendait. La précédente avait été magnifique. Mais, amours déçus qui m’avaient mis au sol. J’espèrais que quelque chose se révèle, et finalement, rien de très essentiel n’est venu. Mais la photographie, le voyage et l’écriture revenaient comme une litanie. La photo, j’ai insisté, j’aime vraiment ça, j’ai acheté mon imprimante et commence à vendre quelques tirages. Le voyage, je l’ai fais à la mesure Covid l’année passée en 2CV puis van, mais je rêvais de marcher, je le ferai pour un mois à partir du 19 juin. L’écriture, ce blog est un petit exercice pratique, mais j’aimerais tenter un peu au delà. Alors je tente un début de bouquin photo dont voici les premières lignes. 

Il est presque 17h. Deux heures que je roule dans cette vieille guimbarde. Jaune. Belle. Elle ne passe pas inaperçue cette 2CV. Elle peine depuis quelques kilomètres déjà. Nous sommes chargés. Ma jeune Rebelle, mon chien bouvier bernois de 3 mois et nos bagages pour les 4 semaines que nous allons passées dans ce petit village des Bauges. Les derniers kilomètres qui nous séparent de notre gîte se raidissent, et c’est en deuxième, parfois même en première que nous arpentons ce serpentin de route. Deux puissantes murailles de montagnes dont nous ne percevons pas les sommets tant le temps est mauvais enserrent de petits villages. Le moteur éructe et sa chaleur envahit l’habitacle. Je dois ouvrir les fenêtres si caractéristiques. Je passe un premier village ramassé, dans lequel doivent coexister une trentaines de maisons. Les habitations se font rares. De nouveaux des prairies vertes et des premières vaches qui sont aux alpages. Arrive enfin le panneau signalisant l’entrée du village de Doucy. C’est là que nous allons séjourner. Quelques mètres après le panneau, l’église, au centre du village qui regroupe une vingtaine d’habitants à l’année. J’ai choisi ce village. Choisi. Pour y être seul. Pour me confronter à la solitude. Pour réfléchir. Pour prendre du temps. Pour envisager peut-être une nouvelle vie. Je me gare devant l’église et aperçoit le gîte que j’ai loué. De ce premier aspect, je suis un peu déçu. Une rangée de maisonnettes mitoyennes en tranches plus ou moins larges, anciennes, dont bizarrement les faitages sont à des hauteurs différentes. La tranche la plus fine sera mienne. Le petit jardin est partagé avec un voisin. Je frappe à la porte et le propriétaire m’accueille sans enthousiasme. J’aperçois l’intérieur. Dehors n’était finalement pas si mal. C’est étroit, froid, sans cachet, et affublé des indispensables savoyards, une paire de ski en bois, des raquettes, une comtoise et une recette au fromage. J’avais hésité entre une retraite dans un monastère ou ce séjour en Bauges, la cellule aurait peut-être été plus favorable. Nous convenons de la date de remise des clés et il s’en va. Il s’en va. C’est maintenant que démarre quelque chose de nouveau. Une nouvelle tranche de vie.

 

A 6 heures du matin, je me réveille. J’ai eu froid. L’épaisse couette n’a pas suffit à réchauffer l’atmosphère de la chambre dont la température a culminé à 12C. Le petit matin se lève. Plus exactement, une faible luminosité d’après nuit se trame derrière les rideaux. Je les écarte. J’aperçois. Rien. Un nuage semble s’être posé sur le village. Il n’est ni en dessous, ni en dessus, il est le village. Je ne vois réellement rien. Je décide de sortir ce petit chiot Rebelle qui est encore bien jeune pour pouvoir prétendre à des nuits propres qui excèderaient huit heures. Nous arpentons le village, la route qui mène à un col, une route sans issue, départ de randonnées. Nous sortons rapidement du village sans que nous ne rencontrions âme qui vive ou même un bruit de moteur. Le nuage a envahit le village et il absorbe également tous les sons. Je distingue la route à trois ou quatre mètres devant, je navigue dans un inconnu cotonneux gris. Ce n’est pas si désagréable, et je découvrirai ce nouvel environnement par étapes. Hélas, la pluie démarre. D’abord une légère bruine qui en quelques minutes se transforme en trombes. Je décide de ne pas renoncer et poursuis le chemin avec ce petit chiot qui prend les allures d’un petit ourson mouillé. Enfin des bruits viennent à moi. Ce sont ceux de cloches. Probablement des vaches dans les champs environnants. Puis un aboiement agressif qui se dirige vers nous. Heureusement que Rebelle est là. Intrigués l’un par l’autre, le chien ne se préoccupe pas de moi. Les sons de cloches s’intensifient et j’aperçois les premières vaches. Un homme les dirige. Deux ou trois chiens l’aident. Lui vêtu de la salopette verte traditionnelle et de la canne de bois. Je me rapproche de lui et nous nous saluons. J’entends bien sympathiser avec les quelques personnes qu’il me sera donné de voir dans ce hameau. Il avance d’un bon pas, les vaches nous suivent. Nous conversons. Il vient de traire ses bêtes, au nombre de 80, qu’il mène maintenant vers un champ un peu plus haut. Le suivre n’est pas simple, mais le troupeau est immédiatement derrière nous. Il est jeune, 30 ans à peine, et mon chiot facilite notre conversation. J’aimerais l’aider. Venir le voir le matin à 6 heures. Mais je sens que je serai davantage un handicap qu’une aide efficace. Et sans être bourru il ne  semble pas particulièrement affable, sa journée s’annonce longue en ces jours de printemps.

Nous marchons presqu’une heure avant de revenir au gîte. Le temps ne s’est pas amélioré. Je n’arrive à capter du réseau que très faiblement à l’extérieur. J’en profite pour jeter un oeil à la météo qui s’annonce très maussade pour les 5 jours à venir. Je souhaitais me confronter à la solitude, me voici servis bien au delà de mes espoirs. J’ai amené de quoi lire, écrire et photographier. C’était une judicieuse idée.