Sélectionner une page
Gamine rêveuse et peu adaptée à ce qui l’entourait, elle était parvenue à conserver intacte cette innocence qu’ont les enfants à s’extasier. Un paysage pouvait la ravir et la contenter de longues minutes. Cette simple contemplation suffisait à recharger ses batteries. La mer, l’océan, une tempête frondeuse, un bateau de pêche qui se balance de vague en vague, l’odeur de l’iode et des algues quand on s’approche du littoral, celle du goudron chaud dont les marins revêtaient les casiers. Elle n’était pas moins bouleversée par la montagne, ses forêts denses et profondes, les champs couverts de fleurs au printemps, l’odeur des vaches pendant l’été et les étendues de neige vierge qui tamisaient tous les sons la chamboulait par dessus tout.
Quelques villages parsemés étaient ses repères, ses ancrages, ses lieux de mouillage. Un petit retour dans ces lieux distillés au cours des années la remettait d’aplomb, prête à affronter ce qui lui était plus difficile. Elle avait fait le choix à un moment de sa vie, de l’amour, d’une vision positive et de non agression. Elle s’était entourée en conséquence. Elle avait remarqué que sa propre attitude influait sur la réponse qu’on lui apportait. Emettez une caresse et vous la recevez en retour. Donnez une gifle et vous en recevrez deux. D’apparence simpliste, cette gentillesse surannée était réfléchie et lui apportait confort et apaisait son esprit agité. Elle avait appris avec le temps à éviter les nuisibles, les râleurs et les emmerdeurs. Elle avait transmis cette inadaptation à ses enfants qui heureusement avaient hérités de leurs deux géniteurs et étaient parvenus à s’en accommoder plutôt bien. Il y avait eu quelques fourberies. Le filtre avait eu quelques déficiences. Et l’âge, le temps, les nouvelles ressassées étaient des ennemis naturels à cet état d’esprit. Tout s’était néanmoins parfaitement déroulé. Un jour, elle s’était jetée à corps perdu dans un amour fou. Une extase, un vertige, une ivresse. Tout s’était amplifié. Les joies et les tristesses. Puis après l’ivresse était venue la gueule de bois. Elle avait alors réalisé qu’elle s’était faite voler. Volée de ce qui la constituait. Volée de ces extases, volée de ces paysages devenus fades, volée de la douceur. Heureusement, la vie est ainsi faite que la source tarie rejaillit après les hivers vigoureux.