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Il y a 10 ans jour pour jour, Téo fête ses 22 ans. Et pour le coup, il y a du monde. Beaucoup de monde. Téo est du genre sociable. Il a une multitude d’amis. La soirée s’annonce excellente. Le jardin est occupé par une bonne vingtaine de personnes. Dont Clio, sa petite amie de l’époque. Tryo et le peuple de l’herbe sont entonnés par les convives et les corps virevoltent sous les guirlandes lumineuses dressées pour l’occasion. Les joints circulent. La bière coule à flot. Léo jongle et alterne quilles et massues en les lançant toujours plus haut. Mathieu s’adonne à sa nouvelle passion, cracher le feu. Nova, gracile, ondule son bassin et son ventre découvert en faisant danser autour d’elle de longs rubans. On vocifère dorénavant davantage qu’on n’entonne.

 

Ses deux parents y feront certainement une apparition, l’un puis l’autre. Séparés depuis cinq ans, ils évitent de se croiser sans que ce ne soit trop problématique si cela arrive. Lui, charismatique, personnage influent dans le domaine du développement personnel et du chamanisme, profite de son aura pour collectionner les femmes de plus en plus jeune. Volontiers manipulateur. C’est un con. Téo ne le sait pas encore. Il l’apprendra bientôt à ses dépends. Sa mère est de toutes les associations solidaires, toutes les causes lui sont chères, elle s’y jette corps et âme, ce qui lui permet de ne pas réfléchir à ce qui la ronge. Batailler contre les injustices est son moteur. Abimée par son ex-mari, elle s’est promise de ne plus jamais revivre une relation stable et durable. Elle vit au sein d’une petite communauté de sept femmes depuis maintenant trois ans. Elle a apprit le sens littéral de “se crêper le chignon”.

 

Téo a toujours été brillant à l’école, il finalise la première année de son master en écologie. Ces études, il les a choisit. Elevé par des anarcho-libertaires, il a toujours été sensible à la cause animale, les problèmes climatiques dont on commence à parler, le respect du vivant, la politique au sens noble, la participation citoyenne, le demos. Pourtant, plus les années d’études se succèdent plus elles lui semblent éloignées de la réalité du terrain. L’ intellectualisation le révulse. Bien penser et bien parler sont utiles, mais elles finissent par l’éloigner de ceux qui font.

 

En réalité, il n’en peut plus de ces études. Il s’épuise. Non pas par surplus de travail. Il obtient de bonnes notes sans que ça ne lui soit très difficile. Mais le décalage grandissant entre ses vraies aspirations et cette faculté épuise son être tout entier.

 

Ce soir, il l’a décidé, il fera une grande annonce. De celle qui ébranle. De celle qui vont lui faire perdre des proches et des amis. Il sait qu’on lui dira de renoncer. Il est ferme. Décidé. Droit dans ses bottes.