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Ce matin est bien difficile. Je suis arrivé relativement tard la veille à mon étape. Elle avait été longue et chaude. N’ayant rien prévu pour dormir dans cette ville au patronyme amusant, Montcuq, je décide de me rendre au bar du village sur la place principale. J’interroge les salariés sur les possibilités de camper avec mon chien. Pas de camping. Un gîte est susceptible de nous accueillir. Je l’appelle. C’est bon. Peu après, un personnage me demande si je suis pèlerin et s’il peut s’installer à ma table. Il est d’origine Irlandaise et tient un gîte dans ce village depuis quatre ans. Il tient à me payer un verre, que je lui offre en retour, qu’il m’offre en retour…. Nous finissons en goûtant les spécialités alcoolisées de nos pays respectifs. Je repartirai presque quatre heures plus tard avec l’esprit gai et fier de mon anglais presque parfait…

Ce matin donc, est bien difficile. Quelques brumes envahissent mon cerveau et je ne suis pas tout à fait certain d’avoir un souvenir précis de tout ce qui s’est passé. Rien de grave. C’était amusant. 

Je rencontre un couple de pèlerins, c’est rare sur ce chemin, d’abord au tabac, ensuite à l’épicerie et finalement à la boulangerie. Le hasard aurait voulu nous faire nous rencontrer qu’il n’aurait mieux procédé. Pourtant, je pars avant eux. Quelques heures plus tard, l’homme de ce couple me dépasse, nous nous saluons, entamons une discussion rapide. Il est belge et semble manier l’humour avec grande dextérité. Mais il est pressé et moi pas. 

Décidément le hasard a décidé de nous réunir puisque le soir même nous campons dans le jardin d’un même gîte. Tout trois avons également réservé le repas. Nous nous retrouvons à un apéro offert par le gîte. Je n’imaginais pas remettre cela après la soirée précédente. Nous sommes nombreux. Martine et Benjamin rencontrés précédemment sont également là. Après une bière, je comprends que la soirée sera longue et plus encore amusante. L’humour que j’avais décelé de Christian le matin même n’était que les prémisses. La fatigue et l’alcool le débride plus encore et nous entamons de franches rigolades. Il se fiche littéralement de chacun d’entre nous à cette table, sans que ça ne soit jamais méchant. Il sait tirer les défauts de chacun comme un caricaturiste le ferait. Nous nous amusons franchement. Sa femme si discrète jusqu’alors prends parfois le relais de ses blagues et les remarques sont tellement inattendues qu’elles en sont plus hilarantes encore. On passe une excellente soirée. Les propriétaires eux-mêmes semblent eux aussi passer un moment exceptionnel. Conséquence de quoi, il sortent de nouvelles bouteilles. Je me dis alors que la journée de demain sera décidément compliquée. Je me remettais à peine.

La soirée se poursuit longtemps encore. Et les confidences tombent. D’abord dans le prolongement de l’humour. Puis finalement franches. Sa femme Marlène trouve ce chemin dur. Elle est physiquement très amoindrie, sa hanche la fait particulièrement souffrir et ses pieds sont entachés de sang. Son mari lui avait vendu des retrouvailles en amoureux. Les enfants sont gardés en Belgique par les grands parents et ce devait être deux semaines d’intimité. Lui n’est attiré que par le contact social, les franches rigolades et le sport qui lui permet de compenser ses excès. Finalement chaque soir est une grande fête. Et chaque jour est une marche individuelle pour respecter le rythme de chacun. Ils ne se voient jamais. Jamais ensemble. Christian vit d’excès. D’excès de tout. Il se brûle. Il se crame. Il s’amuse. Il vit. C’est un chouette type. Insuivable. Je me retrouve en lui, il se retrouve en moi, nous avons une affection particulière l’un pour l’autre.