Je suis attablé à la terrasse d’un café dans ce village glauque. Après des semaines de marche où nous traversions des paysages sublimes et des petits villages pittoresques, voici deux étapes moins réjouissantes. Ces deux villages cumulent l’inconvénient des villes et des villages. Beaucoup de bruit et de circulation. Des motos pétaradantes et des voitures maquillées avec des sonos surpuissantes. Des commerces réduits à la portion congrue pour la plupart fermés ou en vente. Rien ici ne donne envie de s’y installer.
Probablement l’étape du matin ne m’a pas aidé à observer ce village avec emphase. Nous sommes partis sous une pluie battante, sommes arrivés sous une pluie battante. Entre les deux, une pluie battante. De longues portions de plusieurs kilomètres sur un chemin parfaitement rectiligne jouxté de champs de maïs masquant tout espoir de voir autre chose que du maïs. Et quelques aberrations. Par exemple ces champs ce matin là sont irrigués à grand renfort d’eau alors même qu’il pleut lourdement sans discontinuer depuis la veille au soir.
Ma grenadine est délicieuse. Le patron n’a pas lésiné sur la quantité de sirop. Un pèlerin arrive. Recouvert de la tête au pied d’une cape et dont la forme caractéristique ne laisse pas de doute possible. Seul les pèlerins ont cette bosse dans le dos sous la cape.
Il m’aperçoit, ou plutôt il aperçoit mon chien et se dirige vers moi. Il me salue et m’explique me connaître un peu car je suis la personne qui accompagne Rebelle (mon chien) sur ce chemin. Il a passé la soirée dans un même gîte que Tiphaine la veille.
Nous passons finalement plusieurs heures ensemble attablés sur cette terrasse de bar observant le déluge et le balaie incessant de voitures et de deux roues.
Pierre a une petite cinquantaine d’années. C’est un patron de presse régional. Il a gravit tous les échelons et se sait en haut de la pyramide. C’est un personnage intéressant. Il aime plaire. Il aime qu’on l’écoute. C’est un bon vivant. Il est souvent drôle. C’est un séducteur. Il crée des ponts facilement et nous trouvons dans nos histoires des points communs. A propos de nos enfants notamment. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes pour lui. Il apprécie de le faire savoir. Il a frôlé un divorce après quelques incartades mais la situation semble s’être améliorée. Tout va bien. Il aime le dire et le répéter. Et finalement à trop vouloir le répéter on finit par en douter.
Après que nous ayons terminé nos grenadines, voici déjà plus de deux heures que nous discutons là ensemble, nous nous sentons comme deux amis qui partagent leurs arcanes. Nous avons des goûts musicaux proches et une joute s’engage pour venir placer le texte de telle ou tel au sein de nos discussions. C’est pour lui le dernier jour de son périple et je sens qu’il lâche la pression. Qu’il se sait revenir à la vie “normale” dès le lendemain.
Il m’explique être las de son métier. Que celui-ci consiste essentiellement en managment. Et que les méthodes actuelles le révulsent et qu’il appréciait finalement davantage celles un peu autoritaires que lui avait subit durant ses jeunes années. Il se sent un peu en dehors de la course. Mais fait évidemment bonne figure. Il m’explique s’intéresser à la psychologie puis au fil de la discussion m’apprend qu’il a repris les études dans ce secteur depuis quatre ans, qu’il exerce comme psychologue au sein d’une association et que son rêve est de devenir psy à plein temps. Au fond, il attend d’être viré pour pouvoir exercer sa passion, sa prison est trop dorée pour qu’il puisse s’y adonné sans être poussé.
Nous finissons par nous quitter. Un peu gênés. L’un et l’autre nous sommes beaucoup livrés. Notre relation a été amicale quelques heures. Et je sais que c’est quelqu’un que j’apprécierais certainement comme ami. La décision doit être rapide. Nous échangeons nous nos coordonnées ? Reste-t-on sur ce moment agréable.
Nous restons sur ce moment agréable et nous séparons pour ne plus nous revoir.
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