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J’atteints mon étape. Fatigué. Il est plus tard que nos arrivées habituelles. Le temps était annoncé pluvieux pour le matin tôt s’arrangeant ensuite. Nous avons donc démarré vers 9h et avons marché également plus qu’à l’accoutumé.

J’arrive dans ce village où le café occupe la place principale à côté de deux autres commerces. Un groupe de pèlerins occupe l’une des tables et ils me proposent gentiment de les rejoindre. Ce que j’accepte avec plaisir. J’ai très chaud et très soif et je n’ai croisé personne durant la journée. Je reconnais quelques têtes à cette table et deux me sont inconnues.

L’une d’entre elle justement semble vouloir m’accaparer et m’adresse la parole pendant que le groupe discute. Elle, c’est Magalie. La cinquantaine en forme. Très fine. Très musclée, manifestement sportive. Jusque dans sa tenue où elle est l’une des rares sur ces chemins à avoir des habits de marque. La plupart d’entre nous évoluons avec de vieux vêtements usés ou fréquemment harnachés de populeux Quechua.

Ses questions s’articulent toutes autour de la performance, depuis combien de temps, jusqu’où, combien de kilomètres par jour, combien de kilomètres le jour où j’en ai parcouru le plus, ais-je une idée de mon pouls, du poids de mon sac etc.

Je suis aux antipodes de cette démarche et elle semble ne sincèrement pas comprendre que l’on puisse être dans une approche différente de la sienne. Elle bute notamment sur le fait que je n’ai pas déterminé un point d’arrivée mais une date d’arrivée. C’est à dire que je me contrains pas à une destination finale, et chaque jour est une aventure. En arrivant là où j’estime avoir suffisamment marché, je trouve une solution pour y dormir et manger. Ce n’est pas du tout comme ça qu’elle entreprend son chemin et je n’en suis pas choqué.

Elle me présente peu après sa montre et ses données de randonnée sur son téléphone en m’expliquant chaque jour ce qui peut avoir été une contre-performance selon ses critères. Puis le sujet épuisé elle m’explique à quel point elle s’est entraînée pour ce parcours, elle court, marche et fait du vélo depuis des mois. Sa vie entière tourne autour du sport, de la performance, du dépassement. Cela semble évidemment une jolie quête que de vouloir augmenter ses performances physiques.

Mais je dois dire que quelque chose dans son cas m’apparait comme malsain. Il s’agit en fait d’une véritable addiction. Bien sûr, il la vaut mieux très sportive qu’alcoolique, mais son sport en excès lui apporte son lot de déconvenues. Des blessures régulières qui outre la douleur lui apportent des baisses de morale extrêmes. Et probablement un évitement. L’empêchant de réfléchir à son problème réel que semblent être son vieillissement qu’elle redoute par dessus tout et son couple qui manifestement est au delà d’un échec.

Alors elle court. Elle court en avant toujours plus vite. Elle fuit sans jamais y parvenir. Alors elle court et court encore.