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C’est une belle journée et une belle étape. Tout s’est bien déroulé. Nous arrivons dans une petite ville. Son abord est sinistre, entremêlé de zones commerciales, de panneaux publicitaires, de circulation intense, de déchets en tout genre. C’est la zone tampon entre sa campagne agréable et son centre douillet. 

J’ai pris contact avec un gîte pour y passer la nuit, malheureusement plein. Mais plutôt que de s’arrêter à cette information, la prioritaire a contacté ses collègues locaux pour savoir si l’un d’entre eux pouvait m’accueillir et m’a directement mis en contact avec lui. C’est quand même magique. Il y a bien quelque chose de particulier à ce chemin. Il faut l’avouer. 

Je me rends donc directement chez cet hôte. Denis a la trentaine athlétique. Il me fait visiter les lieux et insiste beaucoup sur toutes les choses qu’il ne faut pas faire. Je me sens tel un enfant pendant quelques minutes. Tout ce qu’il me dit est plein de bon sens et même s’il ne m’avait précisé ces interdits, il ne m’aurait pas traversé l’idée de les réaliser. Mais il semble heureux de son discours. Il n’est pas mal-aimable pour autant mais infantilisant. Lui même est guide moyenne montagne et accompagne nombre de pèlerins jusqu’à la destination finale. Il a parcouru entièrement le chemin déjà huit fois. Il tient ce gîte depuis trois ans. Il semble pressé de partir et nous nous donnons rendez-vous le lendemain matin pour le petit déjeuner. 

Je passe une agréable soirée dans ce village. J’en fais une visite sommaire puis trie mes photos. Puis je retrouve deux personnes avec lesquelles nous dînons et refaisons le monde.

Le lendemain matin, je me lève aux aurores, bien avant le rendez-vous que nous nous sommes fixés. Je parcours la ville et trouve des recoins que je n’avais pas observé la veille, de très jolies rues anciennes étroites parées de maisons médiévales. 

Je suis à l’heure de notre rendez-vous et Denis me prépare un petit déjeuner que nous agrémentons de discussions. Rapidement, Denis se confie à moi, sans que je n’ai eu l’impression de l’y amener.

Les confidences se transforment rapidement en complaintes quasi larmoyantes. C’est pour moi une grande déception, car il me semblait de l’extérieur que ses activités professionnelles semblaient idylliques. Entre son activité de guide qui lui permet d’évoluer à l’extérieur une grande partie de l’année, découvrant fréquemment de nouveaux paysages, vivant des moments d’exceptions avec de petits groupes. Puis une activité de tenue de gîte semblant relativement agréable. Il se dit tout à fait excédé par les pèlerins qui finalement sont toujours un peu les mêmes, lui demandent les mêmes choses, pouvant être parfois désagréables, et une ribambelle de reproches. Son exaspération n’est pas feinte. Mais par dessus tout, elle vient de ce village et de ses habitants. Il s’est investit dans plusieurs associations locales, devenant finalement un acteur très actif et tirant derrière lui des manifestations culturelles ayant un certain succès. Un changement de bord politique aux dernières élections municipales ont fait que la majorité de ses projets ne sont plus soutenus et que personne à part lui ne semble en être étonné. Il voit ses efforts réduits à néant. 

Et soudain il ne fait plus partie de cette vie là. Mais entre la fin de cette vie là et le début de la suivante, le temps s’étire. Son bien immobilier est en vente depuis longue date, et tant qu’il n’est pas vendu, il ne peut quitter la ville. Il en vient à détester tout ce qu’il fait. Il est jeune, aigri, malheureux, on ne peut que lui souhaiter une rapide migration. Il me livre une dernière information. Il n’a jamais habité plus de deux à trois ans dans un lieu et fini toujours pas le quitter avec ce même dépitement.