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Voici le chapitre 8. Les chapitres précédents sont disponibles sur ce site. Ils sont disponibles par le menu en haut à droite de cet écran dans la section blog. Bonne lecture. 

 

Depuis mon arrivée sur le massif, il y a trois semaines déjà, je ne m’en suis pas échappé une seule fois. Je vis en vase clos, quoique vaste, mais peu peuplé puisque le massif dans son ensemble héberge 5000 âmes. J’ai remarqué que la population se scindait en deux principales catégories. Les Baujus authentiques, nés ici et issus de multiples générations locales. Souvent un peu bourrus, détestant par dessus tout les gens de passage, ce tourisme qui ne leur amène que des désagréments. Des Gaulois. Il y a quelques exceptions sympathiques, mais elles sont rares. L’autre catégorie est appelée néo-baujus et est souvent constituée de jeunes parents bardés d’idéaux et de convictions. A cela prêt qu’ils les vivent. Ils ne se sentent pas écolos, ils vivent écolos, ils ne vantent pas les circuits courts, ils vivent les circuits courts. Ils ont fait des choix, souvent radicaux, et vivent ici en paix et en harmonie. Il y a beaucoup d’entre aide, d’associations, les enfants sont partout chez eux, ils semblent heureux, vivant en marge de la société au sens consumériste. Les hommes sont tous vêtus de jeans et de chaussures de trails avec des tee shirts usés. Les femmes arborent elles souvent les robes babas et sont très natures. C’est un babaland montagnard. De façon générale, ils sont ouverts et parlent facilement. Je n’ai pas le profil idéal pour m’y confondre, j’ai bossé dans la com et en plus à Genève. Mais Rebelle et ma 2CV semblent me rendre sympathique. Je finis par rencontrer souvent les mêmes têtes et je parviens à me lier avec certains d’entre eux.

 

L’été est bel et bien là et des concerts sont organisés chaque semaine. Je décide de m’y rendre pour la première fois, d’autant que le programme est alléchant, un groupe jouant des morceaux des Têtes Raides et des Ogres de Barback notamment. Quelques artisans des environs vendent des sirops à base de plantes du massif, des savons, des bijoux, des fromages et bien d’autres choses encore. La bière Bauju est dignement représentée et la caravane est prise d’assaut. On y mange des crêpes fourrées aux produits des Bauges. L’ambiance est conviviale, les enfants des uns sont les enfants de tous, jouent ensemble, s’amusent et se faufilent entre les jambes des adultes pour la plupart grisés. Tout le monde semble se connaître et malgré mes trois semaines d’appartenance, je croise déjà des têtes connues, rencontrées à la biocoop ou sur les chemins. 

Le groupe parvient à mettre une grosse ambiance. Un contrebassiste au look sympathique, un bassiste qui a éclusé et une chanteuse accordéoniste qui a beaucoup de gouaille ce soir là. Mais dès 22 heures, la police arrive pour faire stopper la fête. Le groupe attise la foule pour râler contre cette infamie. Avec succès. La foule hurle et se rebelle. Décidément ce petit village gaulois me plait beaucoup. Bien sûr les autorités finissent par obtenir que le groupe cesse, mais personne ne quitte les lieux et la fête continue. Tous avons été privé de la joie de se sentir ensemble pendant de long mois et nous n’en entendons pas en être frustré une nouvelle fois. Les policiers battent en retraite et rentrent au poste. Les discussions se poursuivent. Les voix se font de plus en plus forte. Les rires fusent. Quelques baisers s’échangent. La soirée est belle. J’ai bu et il m’est beaucoup plus simple d’engager des conversations. 

 

Je termine ma soirée avec Fred. Je le remarque car quatre de ses chiens circulent autour de lui toute la soirée. Tout s’explique quelques minutes plus tard. Fred est berger. De métier. Il l’exerce depuis bientôt trente ans. D’abord pour le compte d’un employeur et à son compte depuis douze ans. Il est arrivé depuis deux semaines et fait paître son troupeau de trois-cents bêtes dans les prairies d’alpage. Le loup n’est pas une légende et certains de ses moutons se sont fait dévorer. Mais son avis est mesuré et nuancé. Quel exemple ! Il a beaucoup de chiens, des patous pour repousser le loup, des petits bergers rapides et agiles pour regrouper et diriger le groupe. Son métier lui plait. L’été est agréable et il redescend ses bêtes l’hiver dans l’arrière pays niçois. Il y a quelques années encore, il transhumait fréquemment plusieurs centaines de kilomètres. Maintenant, il adopte le camion. Je lui explique l’intérêt que j’ai pour son métier et il accepte que je puisse faire un stage à ses côtés pendant deux semaines. Mais Fred n’est pas venu à cette fête pour discuter des heures avec un bobo de retour aux sources, Fred a d’autres visées à cette heure tardive. Je le laisse en compagnie de la Ginette de la soirée. Nous nous rappellerons.

 

J’emménage la 2CV pour y faire une courte nuit. J’ai rendez-vous demain après-midi pour visiter l’hôtel restaurant.