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Les vieux avaient raison. L’hiver a failli signer le départ de Téo tant celui-ci a été difficile. Le froid, la neige, la rudesse des efforts et la perte de deux bêtes ont eu raison de son enthousiasme. Mais le collectif l’a encouragé à résister et à poursuivre.

Petit à petit, les avantages et les inconvénients qu’il avait décelé à son arrivée se sont révélés être juste. Cette façon de vivre convenait effectivement à son intellect et à sa façon de penser. Son corps en revanche a eu beaucoup de peine à s’habituer. Durant toutes ces années, il a accumulé beaucoup de fatigue. Des repas sans doute insuffisant. Des levés très tôt tous les matins sans week-end ni congés. Beaucoup de séances collectives tard le soir ont fini d’achever ce corps trop faible. L’épuisement physique a précédé son épuisement mental. Ce qui était demeuré de petits inconvénients durant de longues années sont devenus des choses négatives qui monopolisaient son esprit. Il a souhaité changer de poste et ne plus s’occuper du troupeau, l’a fait savoir à de nombreuses reprises, mais les vieux étaient trop vieux, les jeunes trop jeunes, et aucun sang frais n’arrivait à la ferme. Il s’est senti piégé à ce poste, puis finalement non assisté du collectif pourtant sensé être solidaire. Alors il s’est aigri. Le sentiment de ne plus exister, de ne plus être entendu l’a obnubilé et il a contaminé les autres jeunes qui à juste titre se sentaient eux aussi les forces vives de ce collectif sans avoir de parole écoutée. Si Marine n’avait été là, il aurait quitté la ferme à cette époque.

Il était sorti de sa vie précédente avec une telle radicalité qu’il lui avait semblé difficile durant toute cette expérience de faire machine arrière. Les déceptions puis rancoeurs s’étaient accumulées petit à petit mais les reconnaître légitimait ses détracteurs initiaux. Alors, piégé, il avait continué jusqu’à ce que son corps cède, jusqu’à ce que son esprit lâche les armes.

Il allait falloir inventer un avenir. Revenir au monde d’avant allait s’avérer compliqué. Sans moyen. Sans rien. Persévérer ici n’était plus possible. Il devait se retaper avant d’aller vers un nouvel élan.