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C’est la marée qui déterminait nos sorties. Lorsqu’elle était montante, nous allions sur notre rocher pêcher. Descendante, c’est la plage du port qui nous accueillait pour gratter le sol à la recherche d’appâts. 

La journée de demain s’annonçait idéale : Le matin serait consacré à la recherche de palourdes et de vers, puis l’après-midi nos yeux contempleraient avec attention le bouchon au bout de notre ligne oscillant sur les flots.

Mon grand père se levait tôt. Bien avant que nous, enfants, n’émergions. Il avait des habitudes bien ancrées. D’abord son café matinal au son de la radio Europe 1 que nous n’entendions que chez lui. Il allait alors chercher son journal Ouest France, puis s’asseyait sur la marche de la porte d’entrée pour le lire. De cet endroit, il avait un oeil sur le port, sur les bateaux qui rentraient de leur nuit de pêche, parfois sur le bateau de sauvetage qui partait secourir un navire en perdition. Un autre oeil tourné vers l’intérieur pour guetter notre réveil. 

C’est ma grand-mère qui réglait le rythme de cette maison, les repas, la bouilloire sur le poêle pour faire chauffer l’eau de notre toilette, les courses, la logistique complète de ce minuscule habitat. 

Lorsque nous étions prêt, mon grand-père nous emmenait sur la plage. Il n’était pas bavard ce grand père. Parfois un peu renfrogné. Étonnamment ce trait de caractère avait disparu au premier jour de sa retraite. Il était devenu volubile, affable et drôle, ce dont on ne l’avait pas soupçonné jusqu’ici. 

Nous restions sur la plage une à deux heures, selon que les palourdes soient assez nombreuses au rendez-vous pour notre pêche que nous espérions miraculeuse.

Les oeufs mayonnaises, carottes râpés, betteraves et foie de morue étaient l’entrée traditionnelle du midi, souvent suivie d’une sole fraichement pêchée, hélas pas par nos soins. Le plus fréquemment, une petite part de Kouign aman ou de gâteau breton pour clore ce déjeuner.

Nous nous rendions alors avec les cannes, la goujonnière et la mallette sur notre rocher fétiche. Il nous était attitré et il était bien rare que quelqu’un d’autre l’occupe. Nous y restions plusieurs heures, souvent trois ou quatre à observer notre bouchon coulant tout net parfois. Il fallait alors ferrer, ni trop fort, ni trop doux, mais bien sec. Alors on pouvait espérer ramener le lieu, la vieille, le bar ou l’aiguillette qui s’était fait piéger. 

On avait rarement trop chaud, mais rarement froid, il faisait beau plusieurs fois par jour sur notre bout de rocher recouvert de moules et d’étoiles de mer.

Sans avoir tellement parlé, on rentrait à la maison, fier d’annoncer le nombre de prises à notre grand mère.

 

Ce grand-père, j’ai parlé bien d’avantage avec lui en étant devenu adulte. Son enfance et sa carrière professionnelle étaient des discussions de choix. Il avait également une connaissance de la géographie de la France encyclopédique. 

Mon grand-père est parti en ce début de semaine. Il avait dépassé largement les 90 ans. Il s’emmerdait ferme depuis quelques années et était impatient d’aller retrouver sa femme. Personne n’aurait imaginé qu’il vive si vieux. Il doit être bien heureux.